Matrubhoomi un monde sans femmes est sorti mercredi en France. Ce premier long métrage de Manish Jha est une véritable bombe politique.

Dans une région sans femmes, Ramcharan cherche à marier ses cinq fils. C'est alors qu'une jeune fille, cachée jusqu'ici par son père, est acheté par Ramcharan pour le mariage de son aîné. La présence de cette femme va attirer toutes les convoitises et un déchaînement de violence.
On ressort de ce film épuisé et choqué par cette fiction qui s'appuie sur une orientation inquiétante de la démographie indienne. Le nombre de femmes est effectivement inférieur à celui des hommes et ceci est le résultat d'une culture très favorable aux garçons.
Manish Jha s'était déjà fait remarquer avec son premier court métrage A Very Very Silent Film qui traite des violences physiques et mentales imposées à une femme vivant dans la rue.
Deux ans plus tard grâce à des financements étrangers, ce jeune réalisateur et scénariste sort avec Matrubhoomi un monde sans femmes un nouveau pamphlet féministe dont la violence détonnent avec le conformisme des productions bollywoodiennes.
Ce film n'est malheureusement visible que dans trois salles en France dont deux sur Paris...

Interview du réalisateur:

On pourrait qualifier votre film de féministe. Comment un homme, élevé en Inde, éduqué dans la culture de la domination masculine, peut-il faire un tel film ?
J’ai eu la chance d’être élevé par ma mère, une femme illettrée mais très intelligente, très forte. Mon père, souvent absent parce qu’il voyageait, la respectait. Pourtant, dès que je sortais de chez moi, je voyais ce qui se passait dans la rue. Les femmes exhalaient la peur, la réserve, la soumission. Je ne comprenais pas. J’étais choqué aussi par ce que les garçons du collège infligeaient à ma sœur : les mains aux fesses, les attouchements. Je ne comprenais pas. Chez moi, ça ne se passait pas comme ça. Mais si j’avais vu mon père battre ma mère, la maltraiter, l’insulter, j’aurais certainement perpétué ce modèle, comme la plupart des autres hommes indiens.

Qu’est-ce qui vous a donné envie de faire du cinéma ?
Il y a un aspect de la culture indienne que je déteste. Il faut être dans le moule, devenir informaticien ou médecin. Moi, je voulais être moi-même. Je n’imagine pas que je vais changer le monde, mais le cinéma est un média puissant. Certains films ont le pouvoir de transformer votre regard : vous n’êtes plus la même personne après les avoir vus.

Avez-vous enquêté avant d’écrire le scénario ?
Vous savez, j’observe la misère des femmes dans mon pays depuis que je suis né. J’ai grandi dans ce contexte émotionnel. Un film se fait autant avec l’esprit, qu’avec le cœur. Tous les indiens savent que dans certains états, la pénurie de femmes est telle qu’on achète des épouses dans les états voisins, et que parfois même plusieurs frères finissent par se partager la même épouse. Ce n’est pas de la pure fiction. Il est parfois si problématique de trouver une femme que les familles passent outre les barrières des castes et des revenus.

Au Festival de Toronto, on vous a reproché de nuire à l’image de votre pays.
Notre pays est si pauvre que la préoccupation majeure des gens est l’accès à la nourriture, à l’eau, à l’électricité. Je ne les blâme pas, mais la lutte pour la survie relègue tout le reste à l’arrière-plan. Et le reste, c’est ce qui fait de nous des êtres humains. Nous sommes capables de fabriquer des avions et des téléphones mobiles, mais aux yeux de certains les femmes valent moins que ces objets. Pourtant, une femme, comme tout être humain, a le pouvoir de nous émouvoir, de nous toucher.

Outre le thème de l’infanticide qui ouvre le film, vous dépeignez une misère sexuelle extrême...
Le sexe est un problème crucial en Inde, la tension sexuelle est palpable. Mon film montre sur quoi débouche toute cette tension. Tous les gamins de 12-13 ans vont voir des films porno, parce que le sexe est si tabou qu’ils ne peuvent questionner personne. La sexualité se résume pour eux à la toute-puissance de l’homme et la soumission de la femme. Ce qui se passe avant et après le rapport sexuel, le lien amoureux, la tendresse, ils n’imaginent même pas que cela puisse exister.

Et l’image de la femme dans le Bollywood ?
Pour moi, le Bollywood est encore plus dangereux que le porno. Le porno est stupide, il ne provoque aucune réflexion. Le Bollywood est bien plus pernicieux parce qu’il met en place des normes auxquelles se réfèrent les spectateurs indiens : les femmes ont de gros seins et sont traitées comme des objets. Une femme qui fume ou qui boit est une putain. Ce n’est pas bon pour un enfant de grandir dans des schémas pareils.
Source: Comme au cinéma

Note: Dans le cadre du festival vidéodanse 2005 au centre Pompidou, vendredi 11 février une séance de plusieurs films autour de la danse en Inde sera projetée. Danse contemporaire, Odissi et bollywood sont au programme.