Cette nuit-là - Indra Sinha - Albin Michel


Finaliste du booker price 2007[1], "Cette nuit-là" donc le titre originale est "Animal" est un super roman. Un roman que l'on dévore où l'on attache aux personnages avec une langue des plus croustillante.

Dans "Cette nuit-là", Animal, le narrateur, nous raconte son histoire de jeune indien condamné à marcher à quatre pattes depuis l'explosion de l'usine chimique, Kampani, dans la ville Khaufpur[2] toute entière façonnée par la catastrophe (ruines, handicapés, morts, résistances,...).
C'est donc un roman à la première personne où la langue d'Animal nous offre un show explosif fait de jeux de mots en tout genre, allusions scatologiques, blagues salaces, vannes des plus méchantes. Un torrent de mots où poèmes, vacheries et obsession sexuelle du narrateur cohabitent pour raconter aussi l'histoire d'une ville, de ses traumatismes et de ses luttes. Le tout dans une inde contemporaine et très juste.

Un roman que j'ai lu d'une traite avec un grand smile tout du long. L'occasion de noter une belle traduction où le texte rythmée est au service d'un vocabulaire très fleuri (en revanche pourquoi on-t-il traduit le titre originale "Animal"?).

Le chapitre d'introduction:
J'étais humain, avant. À ce qu'on dit. Moi, je ne m'en souviens pas, mais les gens qui m'ont connu quand j'étais petit disent que je marchais sur mes deux pieds comme les hommes.
(...) La plupart des gens d'ici ne savent pas quel âge ils ont, mais moi si, parce que je suis né quelques jours avant cette nuit-là, celle que personne à Khaufpur ne veut se rapeller, mais que personne ne peux oublier.
Je marchais debout puisque Ma Franci le disait.. Mais pourquoi est-ce qu'elle aurait menti? Ce n'est pas comme si ça pouvait me consoler. Tu trouves ça gentil, toi, de rappeler à un aveugle qu'il ne l'a pas toujours été? Les prêtes qui murmurent des formules magiques à l'oreille des cadavres, il ne leur disent pas: ″Garde le moral, tu as été vivant″. Personne ne se penche tendrement au-dessus du tas de merde abandonné dans la poussière pour lui susurrer: ″Tu ressembles toujours au kebab que tu étais...″
(...) Mais est-ce que tu pourrais comprendre?
Le monde des humains est fait pour être vu à hauteur des yeux. Les tiens. Moi, la tête levée, mon regard donne sur un entrejambe. Au-dessous de la ceinture, c'est tout un autre monde, crois-moi! Je sais quand quelqu'un ne s'est pas lavé les couilles, quand un slip pue le pipi ou une raie des fesses la merde, ces relents qui n'atteignent pas tes narines à toi. Les pets schlinguent trois fois plus. Pendant mes coups de folie, je hurlais aux passants de la rue: ″Vous êtes peut-être foutrement malheureux, et personne n'est heureux comme il a le droit de l'être, mais au moins vous tenez debout!″.
Ne t'en fais pas. Tout te sera expliqué en temps et en heure. Je ne suis pas aussi intelligent que toi. Je ne peux pas tourner chaque mot en papillote comme tu le fais. Il ne me sort pas des martins-pêcheurs turquoises de la bouche quand je l'ouvre. Si tu tiens à mon histoire, il faudra te faire à ma façon de la raconter.

Avec plaisir! ;-)

Notes

[1] Je cite souvent la récompense britannique le Booker Price non seulement parce que ce sont des oeuvres de langues anglaises qui sont récompensées donc potentiellement des romans indiens mais aussi parce que contrairement au nos prix français ce dernier est de grande qualité dans ses sélections et récompenses.

[2] L'allusion à la catastrophe de la ville de bhopal est évidente.