22-23 décembre 2005

Le 22 décembre au matin, nous nous levons tôt pour arriver en avance à la gare pour prendre les tickets et monter dans notre "passenger train". Bien entendu, le type chargé du check out, qui doit nous rendre de la tune sur l'avance que nous avons faite, est d'une rare nonchalance et le rick shaw que nous réussissons a prendre semble être le plus lent de la ville.
Toutefois, dès que nous arrivons à la gare, tout baigne dans l'huile et ce trajet en passenger que nous redoutions un peu d'après les descriptions ( banquettes en bois, trains surchargés, cohue pour monter et trouver une place) s'avérera en fait le trajet le plus agréable que nous ayons fait en Inde.

La prise des billets se passe sans problème grâce à la règle qui veut que les femmes n'aient pas a faire la queue ( trop cool), du coup j'ai tranquillement grillé tout le monde pour prendre nos deux tickets.
1ere bonne surprise, les deux tickets valent moins de 100 roupies, soit moins de 2 euros pour un trajet de 200 km.
Nous trouvons le quai sans difficulté grâce aux autres voyageurs bien que nous n'ayant pas de langue en commun. L'avantage d'être une femme en Inde est que vous trouverez la plupart du temps une autre femme qui viendra spontanément vous aider, alors qu'elles n'adresseront pas la parole à un homme seul.
Nous nous installons donc sur le quai, attente bientôt agrémentée par la visite d'un petite homme édenté accompagné d'un petit singe habillé. Il nous montre à quel point le singe est soigné, ses petits ongles coupés, il lui lave les dents en passant de la pâte dentifrice avec le doigt (il met ensuite le doigt dans sa propre bouche). Le singe a quasi toutes ses dents contrairement a son propriétaire. Nous lui donnons le roupie qu'il demande pour le lait du singe.


Peu après une de nos voisine de quai va chercher des fleurs pour les mettre dans mes cheveux, comme en porte beaucoup de femmes en Inde du sud. Comme petit n'arrive pas a faire tenir les fleurs dans ma tresse, elle m'offre une barrette et les fixe elle même


Me voilà fleurie pour la journée.
Un jeune homme très élégant, en smoking ce qui est peu courant en Inde, du moins dans les gares, arrive. Il se présente, son nom est Shanta, et il demande de but en blanc notre opinion sur la théorie darwiniste de l'évolution


Il s'avère qu'il est un chrétien nouvellement converti, et donc qu'il cherche à se rapprocher de la théorie créationniste. Cependant cela reste un dialogue ou chacun argumente et c'est plutôt intéressant.
Nous somme surpris et enchanté d'avoir a converser sur l'origine du monde sur un quai de gare indien au petit matin, Shanta est quant à lui également étonnés et ravi de nous voir prendre un passenger, moyen de transport populaire en général fui par les occidentaux, ce qui est généralement interprété comme une marque de mépris et de refus de se mêler à la population. Notre présence est donc appréciée très positivement par l'ensemble des passagers qui nous trouvent d'emblée sympathiques
Pour monter dans le train il y a effectivement une cohue incroyable mais une voisine de quai m'entraîne pour me faire rentrer dans les premiers.
Dans les trains passenger, la réservation consiste, soit a entrer dans le tas pour choper une place, soit jeter un vêtement par la fenêtre sur la première banquette disponible, ou a donner le vêtement a un passager à l'intérieur pour qu'il fasse votre "réservation" (les fenêtres sont sans vitre mais avec des barreaux horizontaux).
On est rapidement dépassé par les événements mais heureusement Shanta, avec sa belle veste, a fait une réservation pour nous.

Nous nous installons donc sur les sièges en bois de notre compartiment, accompagné de Shanta, de la dame aux fleurs, de trois joyeux lurons partant pour un mariage et d'une dame partant voir son neveu à l'hôpital. il s'avère que ce sont quatre collègues et elle était très étonnée de les trouver sur le même quai. Ils travaillent ensemble depuis 20 ans pour les presses gouvernementales à Kurnool. Ils impriment donc tous les formulaires officiels nécessaires dans les administrations indiennes. Quand on sait à quelle point celle-ci est friande de paperasse, on est sûr qu'il ont du boulot et qu'ils sont à l'abris du chômage pour au moins quatre vies. Ils ont une complicité évidente et une bonne humeur communicative qui se propage dans le wagon
Peu de temps après nous entendons s'élever le chant mélodieux d'un groupe de mendiante traversant le wagon.
Quelque gare plus loin, un travesti, portant un très beau sari, vient demander des sous à Petit. Je ne sait pas exactement le nom qu'on leur donne ici, mais il constitue une catégorie sociale particulière, et sont considérés comme étant né avec deux sexes. (Ils ont donc moins de problème pour revendiquer leur état civil particulier que leur homologue français), un second, le ventre balafré mais à la chevelure soignée, viendra quelques gares plus tard. Notre voisine des presses gouvernementale est très curieuse, mais comme elle ne parle pas anglais elle met Shanta à contribution pour la traduction, si bien qu'il finira plus tard par lui dire qu'il n'est pas prof d'anglais.
Elle nous interroge sur notre lien de parenté et s'étonne que je ne porte pas le colliers et les anneaux de cheville des femmes mariées. Elle et la voisine aux fleurs me montrent leur bijoux de mariage. un des autres attributs de la femme mariée est le bindi, la dame des presses gouvernementales en sort donc un de son sac et me le colle sur le front. Elle me trouve beaucoup plus jolie comme ça.
Vers 11 heures ils nous demandent ce qu'on a pris pour manger, comme nous n'avons que des biscuits chacun nous donne une part de son repas et du coup on a droit a véritable festin de cuisine domestique, dix fois meilleure que ce qu'on pourrait trouver dans n'importe quel restaurant: riz au citron, roti aux chutney, beignets végétariens et un fruit acidulé qu'on ne trouve qu'ici; Nous sommes ensuite questionné sur nos traditions alimentaires et vient la question de la viande de boeuf. Nous commettons alors un impaire irréparable en révélant que nous en consommons parfois ce qui choque tout le monde et nous rend tout de suite à leur yeux barbares et moins sympathiques.
Toute vérité n'est pas bonne à dire.
Le seul qui se montre un peu compréhensif, bien qu'il ne partage ces habitudes alimentaires , est le nouvellement converti Shanta.
La discussion reprend sur l'existence de Dieu et l'origine du monde. Shanta a un parcours un peu particulier puisqu'il est à l'origine hindou. Dégoûté par l'intolérance d'un hindouisme manipulé par des mouvements politiques, il passe par une période nihiliste avant de se convertir au christianisme. Changer de religion est difficile et rare en Inde, celle ci étant liée à la caste, la tradition familiale et à l'identité sociale. Il ne semble connaître le christianisme que par le message des évangiles, mais peut-être déchantera t-il, s'il approfondi son étude à certains passages de l'apocalypse ou des épîtres qui n'ont rien a envier dans leur propos à la violence de certains mouvement hindous.

Nous sommes bientôt rejoints par des étudiants en science politiques qui nous interpelle d'abord sur Louis XIV et Napoléon, l'aspect impérialiste de la France, ses exactions en Afrique (sans doute en référence au Rwanda) mais nous parlent également du code civil de la déclaration des droits de l'homme et de la devise "liberté, égalité, fraternité", comme quoi nous ne renvoyons pas une vision monolithique. On nous a également beaucoup parler, lors de ce trajets mais également à d'autres occasions, des émeutes en Ile-de-France. Celles-ci semblent avoir été traitées de manière intéressantes en Inde, puisqu'ils ont réfléchi à l'aspect social du problème plutôt que sur un soi-disant aspect ethnique comme ce fut le cas en Russie. Ces émeutes ont eu en outre l'avantage de mettre en lumière une situation sociale complexe et de faire comprendre aux indiens que la France n'est pas le paradis que leur renvoie les images édulcorées d'une France avec sa tour Effeil et ses défilés de haute couture. Soudain la possibilité que ce pays puisse connaître le chômage et la misère leur est devenue compréhensible alors que lorsque l'an dernier nous en parlions, il avaient l'air de penser qu'on les baratiner pour jouer les pauvres.
Arrivés à Khachekuda, les trois lurons descendent en nous souhaitant bon voyage. Deuxième petit incident diplomatique: l'un deux essaie d'attraper avec le pied la sandale qui a glisser sous le siège, Petit essaie alors d'attraper la chaussure et est alors vivement repoussé. On ne touche pas les chaussures. Apparemment cela serait comme s'il nous manquait de respect parce que les pieds sont considérés dans la hiérarchie corporelle comme la catégorie corporelle comme la catégorie inférieure.
Dans la mythologie hindoue, l'humanité aurait été créée par le sacrifice d'un être cosmique, le purusha, ou homme primordial, dont le corps partagé aurait donné naissance aux êtres des 4 catégories sociales hindoues: brahmanes(détenteurs du pouvoir spirituel et religieux), kshatriya (roi et dirigeant temporels), vaisya (commerçant et paysans), shudra (serviteurs), les intouchables étant exclus de ce système car ils sont hors caste. La tête du purusha aurait donné naissance aux brahmanes, alors que les pieds, qui foulent la poussière, auraient engendrer les shudra.
L'incident ne reste pourtant pas très clair, car la tradition veut également qu'en signe de respect on touche les pieds des aînés ou des saints hommes. Tout commentaire de nos amis indiens francophones sont les bienvenus pour nous éclairer sur la question.
Je fais une photo avec les deux dames, qui en sont très contentes, puis nous descendons à Secunderabad accompagné de Shanta, qui veille avant de partir que tout va bien, que nous sommes sur le bon quai. Après un petit thé et une photos nous lui disons au revoir.
On est soigné aux petits oignons puisque lorsque Shanta part le relais est pris par un monsieur bengali de la salle d'attente qui nous aide à trouver notre wagon, valide que tout va bien et viens nous dire au revoir quand le train part.
Nous voilà donc parti pour Bhubaneswar....

Le voyage en 2eme classe AC est beaucoup plus aseptisé. Nous discutons avec notre voisin de compartiment, un jeune homme né à Bhubaneswar mais travaillant comme ingénieur informatique à Hyderabad. Il part à partir du mois de janvier vivre trois ans à Atlanta et vient dire au revoir à sa famille. Il est un peu inquiet car il ne connaît personne à Atlanta et il ne semble pas qu'il y ait de communauté oriya bien implantée aux Etats-Unis comme c'est le cas en Australie.
Après une nuit de sommeil sans encombre à l'exception d'une bande de furies ayant tenter de s'incruster mais qui sont mises au pas par Petit, nous nous réveillons aux alentours de Vishakapatnam. Bonne surprise, les vitres ont été lavées, ce qui nous permet de contempler le paysage autrement qu'à travers un épais filtre jaune comme c'est généralement le cas dans les wagons climatisés. Aux palmeraies verdoyantes succèdent les champs couverts de petites meules rondes et de temples aux couleurs vives.De temps à autres nous apercevons les travaux des champs, les bouviers baignant les buffles, les bandes de hérons et les saris séchant au soleil. En fin d'après midi nous arrivons à Bhubaneswar. Nous appelons notre ami Butu qui vient nous chercher en compagnie de sa soeur et nous le suivont en rickshaw jusqu'à la maison qu'il nous a dénicher pour une bouchée de pain.
On est presque comme chez nous.